Après les inondations. Après le schéma stratégique. Comment opérationnaliser les recommandations ?

Jacques Teller, professeur d'urbanisme à l'Université de Liège et directeur du laboratoire LEMA

La vallée de la Vesdre a été très durement impactée lors des inondations de juillet 2021 tant en termes de pertes humaines que de dégâts matériels. La reconstruction du bassin-versant de la Vesdre doit mettre la question de la résilience au cœur du nouveau modèle territorial.

Ceci suppose de renforcer la cohérence et la solidarité territoriale entre aménagement des plateaux et de la vallée, entre composantes urbanisées et non urbanisées, en considérant l’histoire des sites et leur avenir potentiel.

Un événement exceptionnel qui pourrait se reproduire

Les précipitations de juillet 2021 avaient un caractère tout à fait exceptionnel. Les périodes de retour des débits observés ont été calculées sur base de séries historiques. Celles-ci sont de l’ordre de 270 à 465 ans, soit bien au-delà des périodes de retour prises en compte habituellement.

Il apparaît dans le même temps que des précipitations du type de celles observées en juillet 2021 pourraient se reproduire dans les 15 années qui viennent.

Ceci est principalement lié à l’augmentation des températures et de l’humidité contenue dans l’atmosphère. Le risque de précipitations intenses se voit dès lors accru, en particulier durant l’été. Dans le même temps, et même si cela peut paraître paradoxal, le bassin-versant sera soumis à davantage de vagues de chaleur et de sécheresses dans les années à venir.

Des dynamiques d’urbanisation qui s’inscrivent sur le temps long

Lorsque l’on croise les données du cadastre avec les événements de juillet 2021, il apparaît que 75% des bâtiments localisés dans la zone inondée ont été construits avant 1950. L’exposition au risque climatique est très largement héritée dans nos régions.

Les milieux urbains qui se sont développés en fond de vallée au cours de la période 1850-1950 sont aujourd’hui occupés par un habitat dense, implanté en bord de Vesdre, souvent près de confluences, sans aucun recul par rapport aux berges. Le tracé de la Vesdre a par ailleurs été revu à de nombreuses reprises pour les besoins de l’industrie et des communications routières ou ferroviaires, avec une réduction de l’espace laissé à la rivière. Tous ces éléments contribuent à une forte exposition de l’habitat et des services urbains au risque d’inondation.

Le développement de lotissements et de parcs d’activité économiques sur les versants et les plateaux entraîne par ailleurs une artificialisation/imperméabilisation progressive des sols et un enfouissement partiel des cours d'eau avec, pour conséquence, une difficulté des espaces amont à assumer un rôle d'éponge et à diminuer le ruissellement vers les fonds de vallée.

De fortes disparités socio-économiques entre vallée et plateaux

Les bords de Vesdre sont caractérisés par une concentration de populations pour une large part de condition modeste et d’origines culturelles très diverses. Ceci se traduit aujourd’hui par de fortes disparités socio-économiques entre fonds de vallées et plateaux.

Ces disparités se sont encore accentuées à la suite des événements de juillet 2021 et il convient d’apporter une réponse forte au sentiment d’abandon ressenti par la population si la puissance publique veut éviter de voir se renforcer les dynamiques de désaffiliation observées dans les quartiers les plus touchés.

"[...] Un des premiers documents d’aménagement du territoire en Wallonie qui fasse de l’adaptation au changement climatique une question centrale."

Un projet de territoire à l’échelle du bassin-versant

Face à ces enjeux, la Région Wallonne a commandé l’élaboration d’un schéma stratégique pour guider l’adaptation climatique du bassin-versant. L’élaboration de ce schéma stratégique a été confiée à un consortium composé du bureau Paola Viganó et de l’Université de Liège. Ce schéma stratégique a été livré en juin 2023 à la Région.

Il convient de souligner le caractère original de la commande.

La Région Wallonne a en effet choisi de travailler selon une approche transversale, considérant à la fois les enjeux urbanistiques, climatiques, hydrauliques, socio-économiques, de mobilité et de biodiversité. Le schéma stratégique du bassin de la Vesdre est sans doute un des premiers documents d’aménagement du territoire en Wallonie qui fasse de l’adaptation au changement climatique une question centrale.

Le schéma a par ailleurs été établi à une échelle pour une fois pertinente, à savoir celle du bassin-versant, de manière à permettre d’envisager des solutions s’adressant tout à la fois à l’exposition aux inondations dans les vallées, et au renforcement du ruissellement lié aux développements sur les plateaux.

Cette approche intégrée, tant du point de vue des thématiques abordées que des échelles spatiales, doit à présent être concrétisée. Ceci passe par trois conditions : la mise en place d’un opérateur territorial à l’échelle du bassin-versant, la révision du plan de secteur et le développement d’une politique foncière digne de ce nom.

Un opérateur territorial intégré et agile

Les communes du bassin-versant ne disposent ni des moyens, ni des ressources pour mettre en œuvre le schéma stratégique. Elles sont confrontées à une myriade d’administrations qui interviennent en ordre dispersé. Elles doivent courir après les appels à projets pour réaliser des opérations ponctuelles, qui sont toujours évaluées en dehors du cadre global du schéma stratégique.

Les communes vont par ailleurs devoir intégrer les recommandations du schéma stratégique dans leurs futurs schémas de développement communal, sans disposer de structure de concertation pour ce faire, alors même que les divergences de vues entre communes de vallée et de plateau sont patentes.

Il s’agit par ailleurs d’intégrer les recommandations du schéma stratégique dans le quotidien des demandes de permis, des marchés publics et des projets de reconstruction.

Ceci demande la mise en place d’une cellule intégrée et agile, qui puisse agir à l’interface entre les communes, entre les communes et les administrations régionales, entre les pouvoirs publics et les maîtres d’ouvrage privés.

"La Région Wallonne doit, pour sa part, revoir le plan de secteur"

©WalOnMap

L’enjeu du plan de secteur

La Région Wallonne doit, pour sa part, revoir le plan de secteur, afin de réduire l’offre de terrains urbanisables en zone inondable et de valoriser ce potentiel dans une optique de gestion préventive des inondations.

Le schéma stratégique a identifié un ensemble de l’ordre de 1.000 ha pour lesquels une modification du plan de secteur nous paraissait justifiée et réaliste.

C’est à la fois peu, au regard de la taille du territoire du bassin-versant, et beaucoup, si l’on veut bien se saisir de cette opportunité pour améliorer la qualité de vie et la sécurité des habitants et des entreprises.

La Région est ici à la manœuvre, le plan de secteur étant de sa responsabilité directe. La mise en œuvre de ces modifications devrait avoir un caractère exemplaire et exploratoire pour d’autres bassins-versants.

Une politique foncière

Il s’agit, enfin, de mettre en place une politique foncière ambitieuse, qui permette de corriger progressivement les erreurs du passé et de ménager davantage d’espace à la rivière, de manière coordonnée et réfléchie, en tenant compte du déjà là.

Les outils pour ce faire existent à présent dans le code. La dernière révision du CoDT a introduit la possibilité de mettre en place un mécanisme de préemption pour faire face aux risques, dont notamment les risques climatiques et d’inondations. Reste à présent à les mobiliser.

"Des précipitations inédites, plus de 200 morts, une énorme détresse sociale"

Et sinon ?

Les événements tragiques observés récemment dans la région de Valence – des précipitations inédites, plus de 200 morts, une énorme détresse sociale– sont là pour nous rappeler l’urgence d’adapter nos territoires aux nouvelles conditions climatiques, et ce de manière juste et solidaire.

La Région Wallonne s’est dotée d’un instrument pour réaliser cette ambition. Il lui reste à présent à s’en donner les moyens opérationnels, à court et moyen terme.

Le risque, à défaut, est la répétition d’événements similaires faute d’avoir pris les mesures préconisées pour y faire face. Que ce soit dans le bassin-versant de la Vesdre ou ailleurs sur le territoire de la Région.

Le rapport final du Schéma Stratégique Vesdre est disponible en téléchargement via la page suivante https://territoire.wallonie.be/fr/page/inondations