Franchir le vide en s’émerveillant, merci les passerelles !
- Maison de l'Urbanité
- 24 mars
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 7 avr.
Mathieu Nicaise, expert en mobilités
Confrontés aux obstacles que représentent les grandes infrastructures, piétons et cyclistes cherchent souvent leur place. Entre détours et cohabitation insécurisante avec le trafic, certains finissent par trouver leur voie mais d’autres ne tentent tout simplement pas l’expérience. Les capacités des modes « doux » à se faufiler entre les mobilités « dures » ont décidément des limites. C’est là qu’interviennent les passerelles : clés de voûte des réseaux de mobilités actives mais aussi, prouesses d’ingénierie et catalyseurs de sensations, leurs rôles sont multiples. Explorons-les à travers 6 exemples récents.

N'attendez pas que quelqu’un traverse à la nage…
Souvent, nul besoin de longues études pour cerner ces « chaînons manquants » qui interrompent les (biens nommées) « lignes de désir ». Voilà les nombreux cyclistes gantois libérés des détours autour des 2,3 km du « Watersportbaan », ou le quartier en plein essor de Tour&Taxis relié en ligne droite à la gare de Bruxelles-Nord. Le « missing link » de la gare de Louvain a fini par sauter comme un bouchon de champagne en 2019, libérant des bulles de cyclistes et piétons.
De « lignes de désir » à réseau
La passerelle n’est qu’ossature de matière si elle n’est pas au service d’un réseau de mobilité active qualitatif, continu et protégé du trafic dense. Tout un travail de l’ombre pour planifier, hiérarchiser (du local au régional) et enfin prioriser les réalisations. Jetez d’ailleurs un œil au déploiement rapide des « fietsnelwegen » en Flandre. Une dynamique qui touche la périphérie bruxelloise, où 3 passerelles viennent de sortir de terre pour franchir les barrières routières. Finis les longs temps d’attente pour traverser les 9 bandes des « 4-bras » de Tervuren, quel soulagement !

La marche, cellule-souche de la mobilité, peine en revanche à exister en tant que réseau qualitatif (en dehors des hyper-centres piétons), même si des intentions figurent sur les cartes.
Usager, qui es-tu ?
Piétons, cyclistes, joggeurs ou équilibristes de la micromobilité, déplacements du quotidien ou balade du dimanche ? Les proportions varient selon les contextes et les frontières ne sont jamais étanches : l’essai du dimanche peut se transformer en un usage régulier. Avec parfois une passerelle comme « tête de gondole » du rayon mobilité décarbonée.
Sans négliger les nuances régionales : des fietsnelwegen taillées pour les déplacements pendulaires en vélo (électrique) au nord, un objectif surtout « touristico-récréatif » sur les « RAVeL » wallons et, au milieu, une capitale qui découvre qu’à pied ou à 2 roues on est toujours à l’heure.

De « flagship » à serviteur anonyme
Engagement pour le vélo (un nouvelle passerelle quasi chaque année à Gand), politique de rénovation urbaine (le site namurois du Grognon enfin valorisé) ou encore questions de genre (avec des noms de femmes en baptême) sont parmi les symboles recherchés à travers la réalisation d’ouvrages remarquables.

À l’autre extrémité figurent des ouvrages modestes, réduits à la stricte fonctionnalité. Mais attention, parfois « petit projet = gros impact" . Et pourquoi pas une passerelle "de récup » ? Nos voisins du nord recensent les ponts cherchant une 2e vie, moins exigeante, comme passerelles.
Les pieds dans le plat : bâtir
Si le principe fait l’unanimité, la concrétisation peut traîner : question de place dans les budgets, les équipes et l’espace public. Et puis plongée obligée dans le mille-feuille institutionnel, un franchissement concernant de multiples acteurs. Un exemple : 25 ans nécessaires pour voir Suzan Daniel atteindre l’autre berge du canal.

Sans oublier la liste des exigences : hauteur libre sous l’ouvrage, rampes d’accès confortables, connexion à l’existant des 2 côtés, insertion dans un environnement complexe, multiples options techniques à soupeser, etc.
Mais des contraintes naissent les opportunités : les mobilités légères permettent de déployer toute une grammaire structurelle, élancée et sculpturale. Voilà même de ludiques spirales pour associer compacité et confort. Si l’acier domine pour la structure, béton ou même bois sont envisageables. Pour le revêtement, de la rugosité svp, gare aux glissades.
Quid de la largeur ? Près de 7 m pour la dernière réalisation gantoise, car les précédentes, de 4 m, connaissaient déjà des « frictions » aux heures de pointe. Avec des ouvrages là pour au moins 100 ans, des pratiques en croissance, des engins qui gagnent en masse et en vitesse et des piétons à ne pas sacrifier, mieux vaut ne pas viser trop court !
Parlons gros sous : de ~1 à ~10 M€. À la fois peu (par rapport aux autres infrastructures) et beaucoup par rapport au budget « mobilités actives ». Étonnant : un riche et mystérieux mécène bruxellois y met de sa poche pour le vélo, dont les passerelles.

Catalyseurs de sensations
Abordons enfin ce qui ne figure pas dans les manuels : qu’il est grisant d’avancer en ligne droite et en sécurité ! Mais encore : reconnexion au fleuve, sensation de gravité ou de vertige, émerveillement architectural, lieu de rendez-vous ou de serments, n’est-ce pas là aussi la proposition des passerelles ? Et puis relâcher enfin la vigilance par rapport aux voitures, oser lâcher la main de l’enfant, ou prendre celle de l’être aimé, car on peut tout simplement marcher de front.
Et demain ?
Beaucoup d’ingrédients sont réunis pour que la dynamique se poursuive : légitimation croissante des mobilités actives, projets de rénovation urbaine, présence des compétences en Belgique, dont 2 ingénieries à la pointe (Greisch et Ney). Et, plus prosaïquement : il reste tant à faire pour sécuriser les déplacements sans carapace d’acier !
D’ailleurs, la dynamique des « fietsnelwegen » gagnera-t-elle le sud, faisant enfin du vélo utilitaire un élément du décor wallon ? En tout cas des « cyclostrades » et une importante passerelle devraient éclore prochainement en Brabant wallon.
Et puis, le succès aidant, un problème « de riche » nous guette au tournant : gérer la cohabitation entre usagers. Pas de forêt de barrières ou de panneaux sur les passerelles ! Mais un champ à explorer, entre psychologie sociale et subtilité du design, pour provoquer la modération des vitesses et l’attention à l’autre.
Certainent sont bien faites dans les photos il y’en a une avec angle droit si non les autres vraiment bien