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Claudine Houbart

Les églises rurales : un potentiel à activer

Article extrait du dossier dédié aux villages ruraux du CEP 39 dans lequel Claudine Houbart, Docteur en sciences de l'ingénieur (KU Leuven) et Professeur à la faculté d'architecture de l'Université de Liège, nous parle de la réaffectation des églises au service de l'espace public.


Depuis le début du troisième millénaire, face à une baisse constante de la pratique religieuse chrétienne, en particulier dans certains pays d’Europe et en Amérique du Nord, l’avenir des églises est devenu l’un des principaux défis auxquels le monde du patrimoine doit faire face. En témoigne le nombre croissant de colloques et journées d’étude qui sont consacrés à la question, tant au niveau local ou régional qu’à l’échelle internationale. Réunissant chercheurs, représentants des pouvoirs locaux, des administrations et des autorités ecclésiastiques, ces événements illustrent tant la volonté des uns et des autres de transformer ce défi en opportunité que la difficulté de concilier les intérêts et sensibilités de chacun.



Qu’elle soit ou non reconnue administrativement comme telle, l’église est en quelque sorte l’archétype du patrimoine, un « patrimoine par destination et par définition »[1] . Si certaines d’entre elles éveillent l’attention des experts, touristes et amateurs par leurs qualités architecturales ou leur histoire, toutes, même banales, ont été et sont encore un point d’ancrage d’une communauté, particulièrement en milieu rural. Au-delà de leur valeur fonctionnelle et symbolique en tant que lieu de culte, elles constituent un point de repère et de rendez-vous, participent à un paysage familier, évoquent des souvenirs heureux ou malheureux. Plusieurs exemples récents l’on montré : lorsqu’une église menace de disparaître, la mobilisation locale dépasse les seuls cercles des croyants ou des amateurs d’art.


D’une réflexion globale à des approches au cas par cas


Répondre aux questions complexes posées par l’avenir des églises passe par une approche à la fois globale et spécifique. Globale, parce que parmi les quelque 4 300 églises du territoire belge, il convient de déterminer lesquelles doivent rester affectées au culte, et de se mettre d’accord sur les critères pour les désigner. À ce titre, les arguments avancés par les autorités ecclésiastiques – telle la fréquentation, par exemple – convergent rarement avec les critères des administrations du patrimoine : une église sans caractère patrimonial au sens classique du terme – valeur historique ou artistique – peut n’être que très peu fréquentée par les fidèles, et vice-versa.

Mais au-delà de cette nécessaire approche globale, chaque église semble bien constituer un cas d’espèce. Lorsqu’il s’agit de choisir entre usage partagé – dans le temps ou dans l’espace – ou désaffectation au culte suivie d’une réaffectation, les spécificités de chaque édifice, de ses abords et de son mobilier, son inscription spatiale au sein du village, son état matériel, la nature de l’attachement de la communauté locale ou encore la disponibilité de financements sont autant de facteurs déterminants pour penser les avenirs possibles des lieux. Or, en milieu rural particulièrement, les fabriques d’églises et les communes, sur lesquelles repose la plus large part de cette délicate responsabilité, sont peu armées pour prendre à bras de corps ces questions dans toute leur complexité.

À ce titre, les actions menées en Flandres dans la foulée d’une note de concept proposée en 2011 par le ministre Geert Bourgeois méritent d’être mentionnées. En complément d’un « plan de gestion des églises paroissiales », visant à définir une vision à long terme sur le territoire de chaque commune, en concertation avec les autorités épiscopales et communales, la création d’un Projectbureau Herbestemming Kerken a permis de coordonner 120 études de faisabilité pour la réaffectation d’églises diverses, dont nombre d’églises rurales. Réalisées par des équipes composées de bureaux d’architecture et d’experts académiques, ces études ont permis de développer une diversité de scénarios par la combinaison de recherches historiques sur chaque église et son contexte territorial, d’une consultation de l’ensemble des acteurs concernés et de « recherches par le projet »[2].

Inclure l’espace public dans la réflexion sur la réaffectation des édifices


Plusieurs scénarios développés dans le cadre de ces études l’illustrent très clairement : en dehors des considérations spatiales, culturelles, techniques et symboliques liées aux édifices eux-mêmes, la prise en considération, au sein d’une même démarche, de l’église et des espaces publics qui l’environnent élargit considérablement le potentiel de réaffectation des édifices. Bien qu’elles se prêtent souvent, par leurs vastes volumes intérieurs, à de multiples formes de réappropriation, les églises restent dans la plupart des cas des espaces introvertis, coupés de leur environnement. Repenser leur rapport à l’espace public peut être une manière d’exprimer leur changement de statut et de fonction. Si parfois, la préservation d’un édifice exceptionnel impose de limiter le signalement du changement à un lettrage ou autre timide bannière, de nombreux cas invitent à une approche plus audacieuse et créative, pouvant aller jusqu’à questionner les limites entre église réappropriée et espace public.


Deux exemples tirés des études confiées au bureau « Tracetv », associant le groupe de recherche ArcK de l’université de Hasselt et les architectes Broekx-Schiepers, Saidja Heynickx et UR architects, illustrent fort bien ces propos. Dans le cas de l’église de la Sainte-Croix, au cœur du village de Bouchaute, en Flandre-Orientale, les scénarios d’usage partagé de l’espace incluent la création d’un passage public traversant l’église ainsi que l’ouverture de son bas-côté sud vers l’espace adjacent réaménagé, accueillant une pleine de jeux. À Booienhoven, dans le Brabant flamand, la reconversion de la petite paroissiale Saint-Odulphe en columbarium s’étend au paysage alentour. Dans les deux cas, le contexte est, au même titre que l’église, la matière première du projet.



Scénario d’usage partagé de l’église Sainte-Croix à Bouchaute, vue en plan © TRACEtv.



Scénario d’usage partagé de l’église Sainte-Croix à Bouchaute, croquis perspectif de la façade sud © TRACEtv.



Reconversion de l’église Saint-Odulphe à Booienhoven en columbarium, croquis intérieur et vue de l’état actuel © TRACEtv.



Reconversion de l’église Saint-Odulphe à Booienhoven en columbarium, implantation © TRACEtv.


Ouverture et créativité à l’œuvre

Fondé en 2017, en suivant l’exemple du Centre d’expertise sur l’art et la culture religieux Parcum, actif en Flandres depuis 19973, le CIPAR (centre interdiocésain du patrimoine et des arts religieux) constitue un premier pas vers une étude concertée de l’avenir des églises en Wallonie4. S’il se concentre actuellement sur l’importante question du patrimoine mobilier, sur base d’une expertise en histoire et histoire de l’art, formulons l’espoir que le monde politique wallon lui ouvre des perspectives de concertation avec les administrations du patrimoine ainsi que les fabriques et communes pour élargir l’approche aux édifices et leur contexte. Les universités et leurs facultés d’architecture pourraient, dans ce cas, jouer un rôle d’activateur des réflexions, par le biais de la créativité de leurs étudiants et chercheurs. Ce n’est en effet qu’en ouvrant le champ des possibles et en fédérant les expertises et moyens de chacun que ce défi sociétal majeur pourra se muer en opportunité, notamment pour les villages en pleine mutation.


Claudine Houbart, Université de Liège



------------------------------------------------------------- Notes [1] L.K. Morisset, L. Noppen, Th. Coomans, « L’angélisme n’est plus de mise », in Quel avenir pour quelles églises ?, Presses de l’université du Québec, 2006, p.4. [2] https://www.vlaamsbouwmeester.be/nl/kerken. Les études sont accessibles en ligne. [3] sous le nom de CRKC (Centrum voor religieuze kunst en cultuur); https://www.parcum.be [4] https://cipar.be




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