Climat, biodiversité, agriculture et logement. Quatre crises distinctes, aux conséquences multiples et dramatiques. Quatre crises liées par une cause commune : nos territoires sont aménagés selon des logiques de rentabilité à court terme, avec une vision simpliste qui coûte très cher. Cette vision n’a aucunement tenu compte des innombrables services rendus par la nature. Continuer de la sorte est imprudent, irresponsable. Stop Béton !
Un passé coulé dans le béton du zonage
Le Plan de Secteur et son zonage en grands aplats de couleur déterminent l’affectation de toutes les parcelles de sol wallon. Le zonage du territoire joue un rôle déterminant quant au caractère constructible ou non constructible des terrains. Officiellement guidé par un objectif d’urbanisation raisonnable, ce zonage a débuté fin des années 1970 et a été illico rattrapé par les exigences des particuliers soucieux de faire fructifier leurs biens immobiliers, où qu’ils soient situés. Le monde politique et l’administration de l’époque n’ont pas su, c’est un euphémisme, mesurer les conséquences d’une politique de planification qui organisait l’urbanisation au mépris de la nature, de l’agriculture et des ressources naturelles. La conscience environnementale des citoyen.nes et des associations a été à peine écoutée et peu suivie par les autorités. Les enjeux environnementaux étaient pourtant déjà bien présents dans les combats menés par quelques personnalités de l’aménagement du territoire et du monde agricole. Mais face à la possibilité d’une aubaine immobilière, l’éblouissement collectif a été le plus fort.
"Cela représente 82 000 terrains de football, dispersés dans toute la région, comme des miettes."
Le Plan de Secteur initial prévoyait 1100 km² de zones constructibles. Il n’a fait depuis lors l’objet d’aucune révision globale allant dans le sens d’une réelle réduction des possibilités d’urbanisation, notamment dans les zones inondables. Au contraire, en quarante ans, plus de la moitié des espaces constructibles initialement prévus ont été construits, sous la forme de lotissements, de zonings industriels, de zones commerciales, de routes, etc. au rythme moyen de 15 km² par an. Cela fait 575 km² de terrains artificialisés : soit la superficie cumulée des cinq principales villes wallonnes, Charleroi, Liège, Namur, Mons et La Louvière. Cela représente 82 000 terrains de football, dispersés dans toute la région, comme des miettes. C’est le grand émiettement de la fonction résidentielle, au détriment des surfaces agricoles, forestières et naturelles.
La mobilité : l’éparpillement coûte cher
L’éparpillement de l’urbanisation est inséparable de décennies de politiques publiques reposant sur le développement permanent du réseau routier et autoroutier wallon, qui est devenu est l’un des plus denses d’Europe, avec 4800 km de routes par 1000 km², c’est-à-dire quatre fois plus que la moyenne européenne.
La voiture individuelle, vue comme l’instrument unique de la mobilité, est depuis un demi-siècle un facteur décisif dans le choix du lieu d’habitation et du lieu d’implantation des entreprises et des complexes commerciaux ainsi que de toute une série d’équipements publics.
"4800 km de routes par 1000 km², c'est quatre fois plus que la moyenne européenne.
L’éparpillement renforce la dépendance de l’ensemble de la société à la voiture, puisque le réseau et la fréquence des transports en commun se sont rabougris au fil des années avec la baisse de la demande. Le couple diabolique éparpillement-voiture entraîne de nombreux impacts négatifs et toute personne les subit : pollution de l’air, pollution sonore, danger routier, parkings générateurs d’ilots de chaleur et d’hostilité dans l’espace public, encombrement des villes, agressivité et accidents générés par les embouteillages, manque d’exercice physique et de contacts sociaux.
Dans le but de rentabiliser l’achat d’un véhicule – « l’amortir » en français de Belgique -, la possession entraîne souvent des comportements de surutilisation, notamment sur des très petits trajets où la marche serait plus efficace et meilleure pour la santé de tout le monde. Pour les ménages, les coûts importants liés à l’acquisition et au fonctionnement d’une voiture viennent s’ajouter au coût du logement, provoquant des dépenses largement sous-estimées.
Des espaces à préserver d’urgence
Aujourd’hui, plus de 500 km² de terres restent potentiellement urbanisables selon le Plan de Secteur. Il s’agit majoritairement de parcelles agricoles, mais aussi de forêts et autres espaces verts, comme les fameuses dents creuses qui apportent un peu de respiration dans les tissus urbanisés très denses. Si nous n’agissons pas rapidement pour préserver ces espaces, voilà ce qui se profile à l’horizon : des territoires gris où il ne fait plus bon vivre, des terrains au prix inaccessibles pour les paysans et paysannes, une production alimentaire médiocre car bourrée d’intrants et de produits phytosanitaires, la biodiversité en chute libre, un manque de logements accessibles qui pénalise en premier lieu les personnes les plus précaires, une inadaptation aux conséquences du dérèglement climatique, des inondations plus fréquentes et des chaleurs suffocantes. Bref, la perpétuation des tendances actuelles, mais en pire…
La destruction d’espaces essentiels pour le bien-être et la santé
De nombreuses études mettent en évidence l’effet positif des espaces verts. Le contact avec la nature est bénéfique pour le système immunitaire, la flore intestinale et la santé mentale, entre autres. Les personnes qui ont la chance d’habiter à proximité d’espaces verts ont moins souvent besoin de se rendre chez le médecin et risquent moins de souffrir d’anxiété ou de dépression. L’accès à des espaces verts publics est primordial pour les personnes qui ne disposent pas d’un jardin privé. Les projets immobiliers menacent ces espaces essentiels pour notre bien-être et notre santé. Leur disparition accentue le stress des riverains et entraine avec elle la perte des aménités, biens communs irremplaçables.
La souveraineté alimentaire en péril
En bordure des villes, les terrains agricoles se font rares, comme dans les périphéries et à la campagne. Les prix s’envolent et les revenus des agricultrices et agriculteurs plongent. De nombreuses terres sont menacées par des projets de construction ou détournées de leur fonction nourricière pour accueillir culture de sapins de Noël, agrocarburants, agri-voltaïsme, loisirs de plein air, cultures industrialisées, etc. Aucun de ces usages n’est réfléchi à l’aune des besoins alimentaires de la population, ni dans la perspective d’une transition agroécologique juste.
Il est impératif que les politiques ffoncières publiques et privées se mettent à l’écoute des citoyens·nes et des paysan·nes qui développent des projets nourriciers.
Plaidoyer pour un ménagement du territoire
Le sol est bien plus qu’un support foncier, immobilier. D’autres fonctions intrinsèques lui sont reconnues, notamment en matière d’inondations. Un des concepts-clés du Schéma de Développement du Territoire qui vient d’être adopté en Wallonie (SDT) est l’optimisation spatiale. Ce nouveau concept annonce viser une occupation du territoire respectueuse des services écosystémiques rendus par la nature, en particulier par le sol. Mais il ne suffit pas d’énoncer de beaux principes généraux, puis accorder des permis d’urbanisme à tout va. Seul un ménagement du territoire pourra nous permettre de nous adapter et de renforcer la qualité de vie de l’ensemble de la population.
Nos espaces publics sont les lieux par excellence par où commencer ce ménagement. Ils sont visibles et visitables en tout temps, donc les projets qui y sont mis en œuvre bénéficient d’une publicité et d’un test grandeur nature gratuits. Ce qui, en période de moyens réduits, pourrait s’avérer très appréciable pour les autorités locales et régionales.
Autrice : Hélène Ancion, Canopea
Publié en septembre 2024 dans le CEP 51
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