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COMMUNA : RÉOCCUPER LA VILLE, SE PRÉOCCUPER DU COLLECTIF

La salle principale de La Serre


Occupations temporaires, urbanisme transitoire, détention collective du sol, tels sont des leviers d’actions de plus en plus souvent mis en place pour répondre aux préoccupations qu’engendre un secteur du logement en déséquilibre. À l’aube d’une réforme en matière de politique wallonne d’aménagement du territoire, ces pratiques sont pourtant toujours très peu populaires en Wallonie. L’ASBL Communa nous fait part des leçons tirées de son expérience bruxelloise.


Comment identifier une crise majeure du logement en Belgique ? En 2023, malgré les 103.000 logements sociaux que compte la Wallonie, 40.000 ménages sont toujours sur liste d’attente. À Bruxelles, c’est encore 10.000 de plus en attente pour un parc existant total de 40.000 logements. Du côté flamand, 170.000 ménages sont en attente pour pas moins du même nombre de logements sociaux déjà occupés. On pourrait se questionner sur les causes d’une telle demande de logements subventionnés, mais comment s’étonner lorsque le prix des maisons a tout bonnement doublé entre 2010 et 2020.  Selon Statbel, le prix médian d’une maison 2 ou 3 façades aurait encore augmenté de 18,5% entre 2020 et 2023 pour atteindre aujourd’hui 237.000€. Les effets combinés de ce manque de logements sociaux et de l’augmentation des prix sont les symptômes tangibles d’un secteur de l’habitat en crise.

 

Face à ce marché défaillant régi par la financiarisation du foncier, une des stratégies à opérer consiste à dissocier totalement la propriété du sol de celle des briques. Abordé pour la première fois dans le CEP46(P8) en guise de préambule à cet article, le modèle qui nous intéresse est celui du Community Land Trust (CLT), inventé dans la fin des années 1960 aux États-Unis. En détenant la terre collectivement à des fins communautaires à long terme et en ne la vendant pas à des fins spéculatives, une organisation à but non lucratif ou une communauté spécifique peut conserver un accès abordable à la propriété. Les habitants peuvent ensuite louer ou vendre leur propriété sans faire de plus-value (ou presque), de manière à perpétuer le modèle pour les habitants suivants.  À Bruxelles, le Community Landtrust Brussels (CLTB) a déjà adopté cette approche dans une dizaine de projets subsidiés par la région bruxelloise. Dans ce type de projets, le but est de développer une cohésion et une responsabilité sociale envers le sol, considéré comme propriété collective.

 

Paradoxalement à la pénurie de maisons et d’appartements adaptés à laquelle est confrontée la Belgique pour loger sa population (surtout précarisée), il ne manque pourtant pas de briques dans notre plat pays. C’est d’ailleurs le moins qu’on puisse dire lorsqu’on recense 100.000 logements inoccupés en Wallonie, d’après une estimation, pour le moins déconcertante, calculée par l’Université de Liège. Alors que faire ces logements inoccupés, mais aussi et surtout des additionnels 2260 sites industriels, sociaux, sportifs, culturels ou publics à réaménager sur le territoire wallon ? La vacance, à défaut de la pénurie, constitue bel et bien un potentiel foncier exploitable. Autrement dit, une partie de la réponse se cache dans la question et une solution évidente face à l’inoccupation est d’abord l’occupation temporaire et plus largement l’attribution de nouvelles fonctions au bâtiment à travers l’urbanisme transitoire. 


Tritomas - projet d'habitations préfabriquées en occupation temporaire coordonné par Communa dans le cadre de la mission régionale 'Brussels Helps Ukraine'


En effet, pour atteindre les objectifs de zéro artificialisation nette (ZAN) de l’Union européenne d’ici 2050, et donc freiner l’étalement urbain, l’heure est à la densification des pôles existants, à travers la rénovation du bâti et le réaménagement de sites désaffectés. L’occupation temporaire à finalité sociale, opérée dans une perspective transitoire, prend possession des espaces vacants pour y développer des projets urbains et sociaux. Elle réactive la vie locale des habitants d’un quartier en les mobilisant pour une réappropriation du lieu et en influençant parfois la future programmation d’un site à l’avantage de la collectivité. En 2022, un budget de 1.300.000€  a, entre autres, été débloqué par le gouvernement bruxellois pour financer l’occupation temporaire dite à finalité sociale. L’ouverture d’un guichet par citydev.brussels et perspective.brussels est en cours depuis 2021 afin de guider les porteurs de projets.

 

L’ASBL Communa en est un, et depuis 10 ans maintenant… Au départ, un groupe d’amis ouvre un dialogue avec le propriétaire du lieu qu’il squatte et parvient à en faire une occupation temporaire. Ils décident alors de transposer leur manière de « vivre autrement » en créant un modèle qui fait profiter d’autres personnes en besoin de logement abordable, de certains bâtiments vides de la capitale. Au fil des années, la structure se professionnalise jusqu’à compter aujourd’hui 45 employés et 10 bâtiments occupés dans lesquels cohabitent plus de 200 projets et 400 habitants.


En 2023, le secteur de l’occupation temporaire à Bruxelles est de plus en plus diversifié. C’est pourquoi Communa se distingue des opérateurs commerciaux. Loin d’adopter une approche lucrative, elle œuvre à rassembler un maximum d’acteurs à partager sa vision de l’occupation dite à finalité sociale et à visée transitoire. En effet, selon l’association, l’occupation temporaire doit être humaine avant tout. Les espaces pérennes étant déjà difficilement accessibles aux plus précaires, il est primordial que les portes des espaces temporaires leur soient ouvertes en priorité. De surcroit, l’occupation temporaire n’est jamais une fin en soi tant elle doit pouvoir s’intégrer dans un processus transitoire. Entre 2020 et 2022, l’ASBL reconnait avoir commis des erreurs dans la manière dont elle a appréhendé, par exemple, son projet dit du Tri Postal. Malgré l’accueil de nombreuses initiatives, ce projet culturel et social au rez-de-chaussée de la gare du midi n’a pas permis une transition vers des fonctions similaires dans le projet définitif, qui se matérialise par les nouveaux bureaux de la SNCB.


L'entrée de l'ex occupation temporaire du Tri Postal


Dès lors, pour aller plus loin dans le processus transitoire, Communa se lie avec des organismes de foncier solidaire basés sur le principe du CLT (comme la coopérative Fairground dont elle est co-fondatrice). Un exemple éloquent de l’extraction réussie d’un bâtiment vide du marché spéculatif est celui de La Serre. En 2017, dans le cadre d’un Contrat de Quartier Durable (programme de revitalisation entre la région bruxelloise, une commune et ses habitants), la Commune d’Ixelles acquiert un hangar et ses bâtiments mitoyens par droit de préemption. Communa est alors désignée comme opérateur de ce lieu dans le but d’y recréer une dynamique de quartier.


La Serre comporte dans ses 2000 m² d’espace partagé, des activités de récolte et de distribution alimentaire, de réparation de vélo abordable ainsi que des logements sociaux. En effet, lorsque la gestion d’un lieu incombe à Communa, l’organisation prend toujours le soin de permettre une flexibilité, une mixité et une programmation ouverte afin de créer des liens avec le quartier. En 2024, La Serre évoluera vers un nouveau projet de rénovation et de reconstruction pérenne. La finalité sociale du lieu se prolongera en effet grâce à une acquisition de la parcelle par le CLTB. Dans un contexte ixellois où la gentrification bat son plein, ces 7 années d’occupation temporaire débouchent sur une transition fructueuse et sont le témoin d’une véritable réussite sociale du projet.


L'atelier vélo de La Serre

 

En résumé, l’occupation temporaire à finalité sociale constitue, à bien des égards, une réponse appropriée à la crise du logement dans la mesure où elle permet l’usage intermédiaire d’un site entre son inoccupation et sa réaffectation. À ce titre, elle peut enclencher une nouvelle mixité dans un quartier fracturé tout en facilitant la redensification d’une centralité. En second lieu, sa finalité transitoire lui confère la capacité de préfigurer des usages, impliquer la population dans une approche plus durable et par conséquent, de favoriser une meilleure acceptabilité de la mutation de son territoire.

 

À travers ses actions, Communa agit comme le catalyseur d’une dynamique plus vaste : si le contexte wallon est différent de celui de Bruxelles, l’occupation temporaire est pourtant, au même titre qu’une opération de rénovation/revitalisation urbaine, un outil qui mérite d’être soutenu et subventionné par des politiques publiques adéquates. Dans ce sens, l'enjeu en Wallonie est-il peut-être de profiter de la réforme du schéma de développement territorial (SDT) pour inciter davantage à l'occupation temporaire à finalité sociale et à visée transitoire, tout en la dotant d’un cadre législatif ?


La cuisine mutualisée de La Serre



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