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Le « city branding » serait-il un marqueur d’exclusion sociale ?

Le marketing territorial, apparu dans les années 1980, vise à modifier en profondeur la perception que l’on a d’un territoire. Cela nécessite la mise en place d’une série d’actions concrètes pour travailler sur l’image.



Elles cherchent à se construire une image de marque qui les distingue les unes des autres et qui les rende attractives. Ce processus conduit à une compétition et surenchère qui se reflètent notamment dans l’aménagement d’espaces publics. Mais cette surenchère d’image entre les territoires ne se fait-elle pas aussi au détriment de territoires et de populations déjà fragilisés ?


Le city branding, c’est quoi ?


Le place marketing, naming, city branding sont autant de termes utilisés dans la littérature anglo-saxonne pour faire référence à l’appellation de marketing territorial.


Il se définit comme l’ensemble des actions publiques menées par une collectivité, afin d’améliorer ou de parfaire son image auprès de groupes-cibles, c’est-à-dire d’acteurs sociaux détenteurs de richesses. Le marketing territorial incarnerait un processus de transformation accélérée du territoire visant à accroître l’attractivité et l’hospitalité de ce dernier. Il s’agit tant de capter les relocalisations d’entreprises, les investissements étrangers, les touristes et les résidents que de garder les activités et personnes déjà présentes sur leur territoire.


Ainsi, de nombreuses villes, situées sur l’échiquier mondial, se voient conférer une 'image de marque' (branding) et accoler un nom (naming : I love NY, be home, be.brussels, I amsterdam…).


Le marketing territorial génère une fierté d’appartenance


Le marketing territorial, apparu dans les années 1980, vise à modifier en profondeur la perception que l’on a d’un territoire. Cela nécessite la mise en place d’une série d’actions concrètes pour travailler sur l’image. D’abord utilisé à des fins touristiques, il concerne aujourd’hui tous les secteurs d’activités. Des agglomérations mandatent ainsi des firmes d’experts qui leur proposent une vision à suivre à moyen et long terme. Dans le meilleur des cas, il prend en compte ses occupants par des processus de communication et de participation citoyenne à grande échelle. Il permet ainsi de convaincre des investisseurs privés et les pouvoirs publics, mais aussi d’obtenir des fonds européens. Au niveau de la production d’espaces publics, les villes métropoles consacrent des moyens considérables. Par exemple, au niveau des infrastructures de mobilité (piétonnisation, passerelles, tramway, aménagement de berges, gare TGV…) ; de la culture (création ou rénovation de musées, de salle de concert, intervention artistique sur l’espace public…) ; de la reconversion de quartiers par l’incitation à faire venir des créatifs. Pour ces aménagements, ces ‘scénographies urbaines’, les pouvoirs publics font appel à des auteurs de renoms.


Selon Scatton (2016), le marketing urbain permet l’émergence de nouveaux styles de vie, le regain d’innovation et d’esprit d’entreprise, il améliore la qualité de vie et l’environnement et offre ainsi des perspectives de revitalisation urbaine. L’un des impacts positifs observé dans les démarches de marketing territorial serait d’influer sur l’opinion interne et externe au territoire et de développer une fierté d’appartenance des acteurs locaux.


Lyon, musée des Confluences © Rémi Boyer.



Le city-branding, une vision contestée


L’association des termes marketing et territorial engendre le scepticisme de nombreux auteurs. Selon ces contestataires, le territoire est vu comme un objet d’application parmi d’autres du marketing traditionnel qui consiste à adapter les outils de la grande consommation à celui des territoires. Le marketing territorial relèverait de quelques acteurs aux ambitions politiques ou économiques dont le seul credo serait l'attractivité et la compétition territoriales. Il servirait avant tout des intérêts liés à la maximisation de la rente foncière, en attirant des acteurs économiques internationaux, au détriment des populations économiquement faibles, des objectifs de justice spatial et du développement d’une économie ancrée dans le territoire.


Selon Pinson (2020), la pression pour améliorer les attributs physiques de la ville et pour satisfaire les besoins d'une population à fort pouvoir d'achat, au profit des enjeux de marketing urbain, détourne l'attention des pouvoirs publics des questions de régulation du marché et de gestion des services du quotidien en faveur des populations les plus fragiles. Il conduirait à une éviction des populations précaires, à la gentrification ainsi qu’à l’envol des valeurs immobilières. De plus, selon Faburel (2020), on assisterait à une normalisation de l'espace public urbain remettant en cause son essence même. L’image de la ville reposerait sur le travail d’experts en communication qui ne refléterait guère ce que les populations voudraient communiquer de leur ville et leur identité.


La quête d’identité des métropoles n'exclut donc en rien la standardisation des espaces de vie. Il n’existerait plus de variations locales dans les valeurs véhiculées par les lieux "iconiques" de l'ordre mondialisé, nous serions ainsi de plus en plus, partout à peu près nulle part. Pour eux, faire du territoire un objet esthétique lié à une pratique de marketing renvoie à l’idée que l’espace public, par nature collectif, puisse être approprié au bénéfice d’un petit nombre d’acteurs. Pinson, cite Richard Sennett qui disait que l'espace public était davantage abrasif et perturbant que plaisant et qu'il offrait une expérience d'intranquillité. Par ailleurs, d’autres se posent des questions sur le bien-fondé de certaines dépenses publiques, notamment les dépenses culturelles dont l’utilité est contestée et qui ne profiteraient qu’à quelques-uns.


De plus, certains contestent le fait que l’œuvre d’art ne soit plus dans le musée, mais le musée lui-même à travers son architecture signée par des Star (Piano, Gehry, Ricciotti, Coop Himmelblau…), justifiant la visite culturelle. Ce n’est pas le contenu qui prime mais la façon dont son enveloppe va pouvoir servir au marketing urbain (Terrisse, 2015). Ces institutions culturelles serviraient de leviers pour attirer des « créatifs », terme englobant aussi bien les artistes, les ingénieurs, les graphistes et les employés de l’économie créative et des industries culturelles. Cette classe créative contribuerait au développement de la ville et à la transformation urbaine, sociale et économique de certains quartiers et ainsi générerait un cadre de vie agréable s’appuyant sur des opportunités variées de pratiques mêlant culture et loisirs qui favoriserait la venue de grandes entreprises, de cadres susceptibles de créer du développement économique pour la ville.


En guise de conclusion

La gestion du pouvoir attractif des régions est un processus long composé d’une série d’étapes. La qualité des choix effectués à chacune d’elles aura un impact important sur la capacité de la ville à attirer des investisseurs, des consommateurs, des habitants.... L’utilisation de techniques promotionnelles par les territoires n’est pas un phénomène nouveau.


La concurrence est forte, elle s’étale sur l’ensemble de la planète où une multitude d’autres territoires tentent de charmer les touristes et d’accueillir des groupes industriels. Or, les villes n’en sont pas toutes au même niveau de leur image. Certaines possèdent déjà un positionnement fort (Paris, NY, Londres, Dubaï…).


Si la quête de la distinction peut être vecteur d'innovation, elle présente aussi des effets pervers. Le marketing urbain conduirait ainsi à creuser l’écart entre des territoires attractifs et désirables, dont la population augmente en nombre et en richesse, et des territoires disqualifiés, réservés à ceux qui n’ont pas suffisamment de ressources pour partir…



Kim De rijck, Maison de l’Urbanité





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