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Liège - Chartreuse : La route sinueuse vers une réaffectation concertée


Extrait du dossier consacré aux parcs et jardins dans le CEP42, portons notre attention sur l’histoire d’un site tout à fait spécial situé dans le cœur de l’arrondissement de Liège. Riche de près de 1000 ans d’histoire, le site de la Chartreuse et son fort en ruine constituent un patrimoine exceptionnel pour la cité ardente. L’actualité liée à la reconversion de ce vestige historique en milieu urbain place une nouvelle fois le site classé au centre du débat public et souligne la complexité de ce type de projet.



©Luca Gironi


L’histoire de cette colline remonte à près de 1000 ans


Dès le début du 12ème siècle, le Mont Cornillon a été employé à des usages religieux. Vers la fin du 14èmesiècle, des moines chartreux s’y installèrent suite à la décision du Prince-Évêque de Liège d’y construire un monastère. C’est de là que nait le nom de la Chartreuse.


Outre son assignation religieuse, la colline constitue une position stratégique à l’entrée Est de la ville. Très rapidement, elle est convoitée par les puissances politiques en place qui y installent des infrastructures de défense. Un premier fort est construit sous domination espagnole. Après plusieurs démolitions et reconstructions liées à des successions de pouvoir et à des guerres diverses, c’est en 1815, après la défaite de Napoléon à Waterloo que les hollandais récupèrent la colline. En 1817, ils décident de construire la dernière version du fort, celle dont les vestiges constituent encore aujourd’hui le cœur du site patrimonial de la Chartreuse.


Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette version pentagonale du fort s’est érigée environ 400m plus haut que l’endroit où était implanté l’ancien monastère, dont l’emplacement avait été jugé trop vulnérable. Déclassé en 1891 au rang de simple forteresse, la Chartreuse devient alors une caserne notamment utilisée comme prison allemande lors de la première guerre mondiale et comme hôpital américain durant la seconde. Deux blocs sont successivement ajoutés en 1939 et 1955. C’est à cette époque que le fort prend alors cette apparence fonctionnelle et industrielle, parée de briques rouges, typique de l’architecture moderne de la région. En 1981, l’armée belge ferme la caserne et demeure à ce jour le dernier occupant des bâtiments de la Chartreuse.


Le classement du lieu, un combat pour la préservation du passé


Après que la caserne soit devenue propriété de l’Etat en 1987, on dénombre déjà plusieurs ébauches de projets immobiliers sur le site. En 1988, des riverains opposés à la construction sur le site du fort et du parc tout autour se mobilisent pour créer l’asbl Parc des Oblats. Ils effectuent une première demande de classement avec l’appui de l’asbl La Chartreuse. L’administration militaire ainsi que les propriétaires de diverses zones habitables du site s’y opposent, craignant des difficultés à valoriser et à revendre leurs parcelles. Le site dans son entièreté est finalement classé en 1991, s’ajoutant au monument aux morts du 1er régiment de ligne et au monument aux fusillés sur l’emplacement du bastion n°1 respectivement classés en 1988 et 1989. L’objet du nouveau classement regroupe ainsi le portail néo-classique de 1818 à l’entrée du fort, le dernier rescapé des cinq bastions en étoile constituants les fortification du fort hollandais, et la poudrière en 3 salles voutées à l’ouest du site.


©Luca Gironi


La division des terres


Plusieurs projets de revalorisation et d’achat groupé de l’ex-domaine militaire dans son entièreté émergent, certains en concertation avec les associations locales. Suite à cela, un premier schéma directeur est approuvé par le Conseil communal de la Ville de Liège en 1994. L’ensemble des zones vertes et le parc des Oblats (à l’ouest du site) deviennent propriété de la Ville en 1998. Le fort, devenu zone d’intérêt historique, attend une nouvelle affectation que beaucoup espèrent être liée à des activités culturelles et de mémoire. Il est vendu avec le reste du site, aux sociétés Immo-chartreuse et Matexi pour 2,5M€ en 2003.


En 2004, le site du fort de la Chartreuse, qui était jusqu’ici une ZAD (zone d’aménagement différé – comprenez en attente d’affectation) devient prioritaire. Tandis que les esquisses se succèdent, l’appellation du site devient zone d’aménagement communal concerté (ZACC) et requiert ainsi un rapport urbanistique environnemental (RUE). Celui-ci, finalisé en 2008, prévoit une première phase d’urbanisation le long de la rue du Thier (à l’extrémité nord de la parcelle) suivie d’une deuxième phase dite de « densification » à l’intérieur du périmètre classé.


Le feu vert pour un projet de logement


En 2017, après un premier projet abandonné cinq ans plus tôt, la société Matexi introduit une demande de permis d’urbanisme pour la construction de 74 logements sur la « dalle » où s’érigeaient anciennement des hangars militaires de l’armée. Le collectif « Un air de Chartreuse » se constitue comme nouveau mouvement d’opposition citoyen. Suite à une pétition de plus de 5000 signatures, la société est contrainte de postposer son projet. Tandis que le collectif demande le classement du fort, la même société remet une nouvelle demande de permis en 2019. Celle-ci porte cette fois sur un projet revu à la baisse de 48 logements. Il s’implante sur une surface de 2,1 ha « actuellement occupé par une végétation spontanée » selon le rapport du Pôle Environnement de Wallonie. Le permis est accordé en mars 2021. A l’annonce d’un début de travaux imminent sur la colline, les mouvements citoyens se mobilisent à nouveaux à travers une occupation de lieux de type ZAD (zone à défendre). Ils introduisent une demande de suspension en extrême urgence du permis d’urbanisme qui, même si le caractère urgent n’a pas été retenu et que les propriétaires de la parcelle sont techniquement en droit de débuter leurs travaux, risque de retarder à nouveau les travaux de plusieurs mois voire d’années.


©Luca Gironi


Des revendications citoyennes mais aussi régionales


Outre la dimension écologique de la lutte contre l’artificialisation des sols et la bétonisation d’une zone ayant repris à certains endroits des aspects de forêt, l’autre raison pour laquelle les collectifs citoyens tels que « Chartreuse Occupée » mènent aujourd’hui des actions sur le terrain et sur les réseaux sociaux concerne la volonté d’aménager le site dans son entièreté.


Si les zones périphériques au fort et en bord de parcelle sont plus facilement urbanisables, un projet de réhabilitation des bâtiments de l’ancienne caserne est beaucoup plus complexe. Le site entier est classé comme SGIB (Site à grand Intérêt Biologique) par la Région Wallonne, certains des monuments sont également reconnus comme patrimoine immobilier culturel wallon. Seulement, les tentatives de classement des bâtiments de l’ancien fort n’ont pas abouti. Cette partie du site à l’abandon depuis plusieurs décennies n’est actuellement pas sujette à une subvention de rénovation et n’est donc pas facilement rentable pour un promoteur immobilier. L’urbanisation des autres parcelles privées à proximité directe du fort ne serait par ailleurs que difficilement imaginable compte tenu de la dangerosité et l’instabilité des ruines en l’état actuel.


Comme le concluait le rapport du Pôle Environnement de Wallonie en 2020, les bâtiments de la Chartreuse et ses remparts se dégradent de manière très rapide. Ils faisaient enfin remarquer aux autorités compétentes et à la Ville de Liège l’urgence d’intervenir sur ce site classé et d’exception.









©Luca Gironi


Luca Gironi, Maison de l’Urbanité


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