top of page

DE L’ESPACE AU TEMPS, LA NUIT SE DÉPLACE

Depuis quelques années, et la volonté de baisser les coûts énergétiques et de préserver la biodiversité, l’urbanisme nocturne cherche -plus encore- l’équilibre entre le social et l’écologique. Comment aller progressivement vers l’ombre tout en préservant la qualité des lieux pour les humains ? La gestion du temps est une/la réponse.

Démarches participatives dans les cheminements de la Citadelle de Namur © Frédéric Raevens/propriété Radiance35


La nuit retrouvée

L’urbanisme nocturne est une discipline relativement récente (une trentaine d’années). Elle s’attache à établir des propositions sur les territoires nocturnes, visant principalement à la modification/ au remplacement des systèmes d’éclairage, que ce soit pour les espaces publics (rues et places, mais aussi parcs et jardins) ou pour les monuments. Elle façonne la nuit…


L’approche durable, au travers de ses trois piliers : l’écologique, l’économique et le social a -presque- toujours guidé les concepteur.trices lumière, ce qui n’était pas toujours le cas de tous les acteurs du monde de l’éclairage. En fonction des lieux et des attentes, un des piliers était souvent privilégié par rapport aux deux autres : éclairer une voirie principale était guidé par le pilier économique, éclairer un parc par le pilier écologique et éclairer un centre de ville/village par le pilier social. La crise covid 2020 suivie de la crise énergétique 2022, liée à la crise climatique a modifié le regard et les approches de ce secteur. Dans un mouvement de panique ou de vertu (?), tous les monuments se sont éteints, les rues se sont -pour beaucoup- plongées dans le noir en cœur de nuit. C’est le pilier économique qui a guidé tout cela.


Petit à petit, le pilier éconologique a emboîté le pas et on a défendu cette « nuit retrouvée » comme une approche salvatrice de la biodiversité. Mais on a un peu oublié les humains… Même si certains en ont profité pour ressortir la « carte de la sécurité », argument suprême pour justifier une lumière forte ! Si tout le monde (ou presque) connaît les effets néfastes de la lumière artificielle sur la biodiversité, la solution n’est évidemment pas de tout éteindre. Mais jusqu’où peut-on aller dans l’ombre acceptable, l’ombre aimable pour les humains que nous sommes ?


La solution dépasse souvent la dimension spatiale, elle peut être réglée par le temps. Les projets d’éclairage le permettent plus que tout autre projet, puisqu’aujourd’hui on peut programmer des éclairages à certains moments de la nuit et aussi changer leurs couleurs (ou plus spécifiquement leurs températures de couleur [1]). Nous sommes passés de l’aménagement de l’espace à l’aménagement du temps…


Comprendre les temps de la nuit

Comment comprendre les « temps de la nuit » ? La connaissance fine du lieu redevient fondamentale. Il faut analyser les usages tant des humains que de la faune. Quand le lieu est-il utilisé ? Quand est-il traversé ou investi par des colonies de chauve-souris, des oiseaux migrateurs, des batraciens, etc.


Guerilla lighting à Gland © Daniel Risse/propriétaire Radiance35


Puisque l’urgence climatique nous mène vers des modérations de toutes parts, plus que jamais, il faut comprendre jusqu’où nous, les humains, sommes prêts à aller mais aussi, réfléchir à ce qui fait sens, à ce qui (r)amène de la poésie et la démarche participative (re)prend tout son sens. Radiance35 développe depuis de nombreuses années cette méthodologie parce que nous sommes convaincu.e.s que sans comprendre les usagers.ères, le projet non seulement n’aura pas de sens mais de plus, il ne sera pas pérenne. Aujourd’hui, dans ces questions « d’acceptation du noir » elle devient indispensable car imposer le noir ne peut qu’aboutir à son rejet.


Des exemples concrets (en Belgique et en Suisse)

Deux exemples peuvent illustrer le propos : le projet des cheminements de la Citadelle de Namur [2] (2018) et le plan lumière de la ville de Gland en Suisse (2022).


Commençons par le plus « ancien». Le projet des cheminements de la Citadelle de Namur  suit celui de la mise en lumière des murailles extérieures (réalisé par la même équipe). La demande est claire : accompagner les usagers.ères du lieu, quotidiens et touristiques, par un dispositif nocturne « intelligent ». Le lieu est complexe, tant dans son paysage, sa topographie, que dans ses usages (humains et faune). La phase d’analyse détaillée prend tout son sens.


Carte de temporalités des usages des cheminements de la Citadelle de Namur ©Radiance35

Carte de temporalités des futurs dispositifs lumineux des cheminements de la Citadelle de Namur © Radiance35


Les démarches participatives sont plus classiques : interview des usagers sur le site, promenades nocturnes avec les différents services (y compris la Division Nature et Forêts), observations sur site, etc. Il en résulte une programmation fine des dispositifs lumineux (depuis la détection de présence jusqu’à la programmation en fonction des jours, des semaines ou des saisons) qui répond tant aux usages qu’à l’adéquation avec les paysages traversés. Toute une partie du territoire (la partie haute) n’est éclairée que lors d’événements particuliers, et encore, avec des dispositifs de détection de présence garantissant l’obscurité absolue quand personne ne passe.


Ce projet, où le temps a pris toute sa place, a déjà quelques années ; ce qui a permis de valider certaines options et d’en simplifier d’autres (notamment, les systèmes complexes de détection de présence ont été abandonnés)


Le Plan Lumière de Gland (en Suisse, commune près de Genève) est une autre démarche. D’abord, il est plus récent (2022) et donc intègre toutes les problématiques évoquées plus haut. Ensuite, il a été l’occasion de développer des démarches participatives très poussées pour comprendre mieux ce rapport à l’ombre.


Carte des « zones d’attraits nocturnes », extrait du Plan Lumière de Gland © Radiance35


Elles se sont déroulées en trois temps, en juin 2022, deux marches nocturnes « actives », suivies d’ateliers le lendemain, ont été organisées. Pour ce faire, nous avons utilisé sur site, le soir, la technique des pictogrammes[3] et le lendemain, en atelier le jeu Noct’Urnes [4], jeu de rôles conçu par Radiance35. Il propose aux participant.e.s de se mettre dans la peau des acteurs de l’urbanisme nocturne : écologue, sociologue, artiste ou ingénieur. Chaque rôle dispose de cartes arguments à utiliser à bon escient et à exposer puis débattre dans un temps limité. Le vote final permet au « maire » de décider, in fine, de la validité des propositions développées. Ce processus « de prise de recul que signifie un jeu de rôles » permet de débloquer certaines situations et d’être plus créatif dans les propositions.


Carte des « temporalités », extrait du Plan Lumière de Gland © Radiance35


En septembre 2022, une deuxième démarche participative a été organisée lors de la Nuit est Belle [5] ? Les participant.e.s ont été amené.e.s à concevoir collectivement un projet (en atelier) puis à l’expérimenter ensemble avec des dispositifs lumineux portatifs.  Enfin, en décembre 2022, un atelier de fabrication d’éléments lumineux de Noël et puis de mise en place de ceux-ci dans la nuit a été organisé. Sur base de ces 3 ateliers, le Plan Lumière s’est défini. Il se base essentiellement sur la notion du temps, comme peut le faire une orchestration musicale, basée sur un tempo. Des zones « d’attraits nocturnes » ont été définies avec des recommandations spécifiques, en matière d’éclairage. Un calendrier des « pulsations » de la nuit propose alors une programmation fine, tant pour les « chemins majeurs » que les « zones d’échappées » que sont tous les espaces connexes aux voiries principales : places, tunnels mais aussi éléments de repères emblématiques. 


Ces deux exemples permettent de montrer quelles sont les pistes possibles pour aborder les espaces nocturnes aujourd’hui, comment le temps est une des clefs d’arbitrage entre les différents piliers ; mais surtout que la solution doit se baser sur une connaissance approfondie du lieu.


Sentiers des cheminements de la Citadelle de Namur illuminés en clair-obscur, sur détection de présence© Frédéric Raevens/propriétaire Radiance35



Notes :

[1] La question du choix de la température de couleurs est un débat crucial aujourd’hui dans le secteur de l’éclairage ; certaines espèces étant plus sensibles que d’autres à certaines longueurs d’ondes. En fonction des espèces recensées, il faut donc -dans la mesure du possible- adapter ces longueurs d’ondes)

[2] Consortium Genetec/Radiance35/Philips

[3] En fonction des sites, Radiance35 réfléchit à des démarches participatives qui font sens. Ici, le thème des activités nocturnes était central, et les « pictogrammes » distribués comme un jeu de piste aux participant.e.s ont permis de faire ressortir, de manière ludique, quelles activités (existantes ou souhaitées) étaient liées à quels lieux.

[5] https://www.lanuitestbelle.org est organisée depuis 2019 dans 184 communes du Grand Genève. Pendant toute une nuit, tous les éclairages publics sont éteints et différentes activités de sensibilisations sont organisées. 


Plus d'infos :

bottom of page