L’eau, fil conducteur dans l’architecture contemporaine
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Dernière mise à jour : il y a 14 minutes
Colin Charlier (Uman architect)
Longtemps perçue comme une frontière, l’eau redevient aujourd’hui un vecteur d’ouverture, de lien et d’identité dans l’architecture. Plus qu’un décor, elle devient un lieu à part entière, porteur de dimensions paysagère, écologique et sociale. En Wallonie, plusieurs projets d’UMAN architect illustrent cette évolution où l’architecture s’efface au profit du paysage et du vivre-ensemble.

©Georges de Kinder
Si proche, pourtant si loin
La Meuse, colonne vertébrale des villes riveraines, a façonné depuis des siècles le tissu urbain, les échanges économiques et les paysages. Pourtant, la modernité l’a souvent reléguée au second plan: zones industrielles, routes, parkings ont coupé les habitants du fleuve.
C’était notamment le cas à Huy, où le centre commercial du Batta et les différents logements à proximité étaient séparés de la Meuse par une zone dédiée à la circulation et au stationnement. Un espace « utile » totalement dévalorisé en particulier sur le plan paysager et piétonnier.
Notre démarche s’est alors inscrite dans une logique simple : elle a cherché à reconnecter la ville à son eau par des lieux ouverts, continus et perméables. L’eau n’était plus limite mais ressource. Le nouvel aménagement de l’Esplanade Batta incarne cette volonté de transformation urbaine par le paysage. Fini l’ancien parking asphalté, place à une vaste esplanade piétonne végétalisée qui ouvre la ville sur la Meuse.
Le fleuve est devenu une scène urbaine
Un lieu multi-fonctionnel puisqu’il incarne à la fois un espace de convivialité, une zone de délassement quotidien et un cadre d’accueil pour divers événements. Le fleuve est ainsi devenu une scène urbaine : promenades, zones d’assise et cheminements doux accompagnent le mouvement de l’eau.
L’architecture agit ici comme un dispositif d’accueil. Le dessin du sol, les variations de niveaux et la texture des matériaux ont créé une transition fluide entre la ville et le fleuve, invitant les habitants à s’y arrêter, s’y rencontrer, y contempler le paysage.
Le nouveau mobilier urbain s’inscrit d’ailleurs dans cette volonté. Réalisé en béton dans une approche à la fois fonctionnelle et esthétique, il est disposé directement face à la Meuse. Auparavant séparée du fleuve, la vie hutoise y est désormais (re)connectée !

©Georges de Kinder
Un paysage d’équilibre entre nature et culture
À Lanaye, à la frontière du parc naturel des vallées de la Meuse et de la Berwinne, nous sommes intervenus dans un site d’une richesse écologique exceptionnelle. Sur une esquisse du bureau Focus-ID et de Daniel Steenhaut, le projet dessine un parcours d’observation et de découverte autour de la frayère, pensé pour respecter la quiétude du lieu. Dans ce paysage, l’eau est le fil conducteur. Elle serpente, se reflète et rythme la promenade, devenant moteur de l’expérience.
Les passerelles, panneaux didactiques, belvédères et plateformes d’observation sont disposés pour faire dialoguer le visiteur avec le cours d’eau, ses zones humides et ses reflets changeants.

©Utku Pekli
Chaque variation de lumière, chaque ondulation, chaque bruissement devient une interaction sensible avec le vivant. Elle n’est pas qu’un élément naturel : l’eau façonne le parcours, délimite les espaces, inspire les ambiances et transforme la balade en expérience poétique. Le visiteur devient témoin de sa vie, de ses mouvements, de ses temporalités, comme si le projet suivait le souffle de l’eau.
Dans ce paysage, l’eau est le fil conducteur.
Grâce au bois et à l’acier corten, les interventions humaines (passerelles, panneaux didactiques et belvédères) se font discrètes. Elles laissent l’eau raconter l’histoire du site, révélant sa beauté sans jamais la contraindre.
La Frayère de Lanaye illustre ainsi comment un projet peut mettre en valeur un écosystème fragile tout en créant un lieu de rencontre et d’expérience collective où l’architecture devient médiation poétique entre l’homme et le vivant.
Rendre la Meuse aux Visétois
Enfin, sur les berges de la Meuse à Visé, nous développons un écosystème urbain et paysager où le fleuve devient acteur central. Le projet d’hôtel cyclable, toujours à l’étude, s’inscrit dans une vision globale de mobilité douce et de reconnexion avec l’eau.
Au-delà de la mixité de fonctions privées (hôtel, coworking, HoReCa), le projet repose sur une volonté claire : rendre la Meuse accessible aux Visétois. Les cheminements du RAVeL, les terrasses publiques et les aménagements de berges sont pensés pour prolonger la ville vers le fleuve. L’eau n’est plus en arrière-plan : elle devient un horizon quotidien, visible et vivant, accessible à pied ou à vélo, guidant la promenade et les activités.
Parmi les aménagements pensés pour le public, on retrouve des espaces de repos, de rencontre et de jeux, tous orientés vers la Meuse. Une esplanade, des zones piétonnes arborées, un skate-park, des pontons et une plaine paysagère viennent structurer les abords et inviter à la promenade. Cette plaine devient un point de rassemblement naturel, avec des gradins paysagers pouvant accueillir des événements ponctuels et une extension sur le fleuve offrant une expérience inédite face à l’eau.
Ce projet illustre parfaitement notre philosophie : penser l’architecture comme partie d’un système vivant où bâtiments, espaces publics et nature forment un ensemble cohérent. Le fleuve n’est plus un simple décor, il devient un moteur spatial et poétique, structurant le site, guidant les usages et racontant l’histoire de la ville au fil de l’eau.

©UMAN architect
Une même approche : humilité, continuité, partage
Vous l’aurez compris, qu’il s’agisse d’un site naturel, d’un centre urbain ou d’un lieu en reconversion, nous abordons l’eau avec une même intention : mettre en valeur sans sursignifier. Notre bureau privilégie des interventions sobres où le dessin du sol, la lumière, les textures et la végétation remplacent le geste monumental.
Chaque projet affirme une conviction : l’eau est un espace public à part entière. Elle relie les lieux, les habitants, les échelles du territoire. Elle invite à la lenteur, à la contemplation et au respect des rythmes naturels.
En redonnant à l’eau une place centrale (non plus comme contrainte, mais comme ressource), il est possible de réconcilier ville, nature et société. Ces aménagements ne se limitent pas à embellir les rives, ils réinventent le rapport des habitants à leur environnement, réintroduisent la nature dans le quotidien et rappellent que la qualité d’un espace public se mesure aussi à la manière dont il fait respirer la ville au rythme de son fleuve.
En ce sens, nous concevons des architectures qui ne cherchent pas à dominer le paysage mais à l’habiter intelligemment.


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