Le résurgence du Marais Wiels : un exemple de coexistence avec les zones humides en milieu urbain
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Allan Wei (IITSE - ULB) & Geneviève Kinet (Marais Wiels Moreas asbl)
À Bruxelles, l’urbanisation a invisibilisé la présence de l'eau mais la résurgence accidentelle d’un plan d'eau sur le site d’anciennes brasseries a généré un écosystème rare en milieu urbain. Il abrite une biodiversité remarquable et suscite une mobilisation citoyenne et scientifique. Malgré les pressions immobilières et les incertitudes institutionnelles, la valeur écologique et sociale du Marais Wiels a généré un laboratoire de nouveaux imaginaires urbains.

© Kinet Geneviève
Le Marais Wiels est une oasis dans un océan de béton
Dans les milieux urbains, le réseau hydrographique et les zones humides qui l’accompagnent ont été profondément modifiés par l’urbanisation et l’industrialisation depuis la fin du 19ème siècle. À Bruxelles, le voûtement de la Senne et de ses affluents et l’élargissement du Canal ont fait disparaître la présence de l’eau en ville, au profit d’une logique de gestion qui a permis d’invisibiliser les contraintes liées à la présence des cours d’eau. L’artificialisation du territoire s’est accélérée dans l’après-guerre, avec une double dynamique d’étalement et de densification.
Depuis le début des années 2000, l’augmentation de la population bruxelloise, la flambée des prix du foncier et le benchmarking urbain ont éveillé de nouveaux appétits immobiliers pour les espaces industriels et logistiques. Au-delà des grands projets emblématiques (Tour et Taxis, Kanal Pompidou, Biestebroeck, Porte de Ninove,...) qui transforment progressivement les rives du Canal en waterfront, l’ensemble de ces quartiers historiquement ouvriers et immigrés, est soumis à une dynamique de gentrification (1). La dépossession de ces centralités populaires, au profit d’autres classes d’habitants et d’autres activités économiques, est soutenue par les plans d’aménagement ; la dépollution des sols, la réalisation des espaces ouverts et des infrastructures collectives, sont en partie financés par des investissements publics.
Pourtant, à contre-courant de ce développement, au sud de Bruxelles, non loin de la gare du Midi, dans le bas de la commune de Forest, sur le site des anciennes brasseries Wielemans-Ceuppens, un marais a resurgi depuis une quinzaine d’années suite à un projet immobilier qui a percé la nappe phréatique du fond de la vallée de la Senne. L’interruption du chantier par la crise financière de 2008 et l’intérêt suscité par ce biotope émergent ont permis la reconstitution d’un écosystème complexe sur une surface de 2,5 hectares, dans un quartier vulnérable aux aléas climatiques (2). Suite à l’opposition des riverain.es qui ont renommé le site Marais Wiels et au recensement des populations d’espèces par les naturalistes, les projets privés initiaux de bureaux et d’ateliers d’artistes, puis de gated community, ont été abandonnés.
Dans un contexte global d’effondrement de la biodiversité, particulièrement accentué pour les espèces d’eau douce, la constitution du Marais Wiels est un exemple de réparation d’un milieu de vie par la rencontre d’agents humains et non-humains.
Le rachat du site par la Région à la faveur du plan de relance post-Covid n’a pas encore entraîné la reconnaissance, aux côtés du patrimoine industriel classé, du patrimoine naturel que représente le plan d’eau et sa zone humide associée. Les opérateurs publics régionaux et communaux ont prévu d’aménager et d’activer le site afin d’intensifier ses fonctions urbaines et ses services écosystémiques. Piste cyclable transrégionale, parc paysager, logements conventionnés, extension d’établissements culturels, établissements Horeca – les projections s’accumulent pour saisir une opportunité d’occuper ce qui est perçu comme une page blanche dans l’espace urbain, une friche à développer. Pourtant avec les incertitudes financières liées à l’augmentation des prix dans l’industrie de la construction, avec la crise gouvernementale et la détérioration des finances régionales, le Masterplan qui devait coordonner ces interventions s’est fractionné en une série de projets, imaginés en silos, dont l’aboutissement est de plus en plus incertain (3).

© Kinet Geneviève
L'espace offre un mur pour les artistes depuis la fermeture des brasseries en 1988
Si les projets, privés et publics, semblent actuellement avoir rencontré leurs limites respectives, le Marais Wiels a entraîné une dynamique sociale et écologique qui a dépassé ses limites. Le site est visité par des groupes scolaires et associatifs. Sujet de recherches doctorales, d’ateliers pédagogiques et de publications académiques, notamment en architecture et urbanisme, il suscite de nombreuses expérimentations artistiques et constitue un site important pour les fresques urbaines à Bruxelles. Enfin, il est habité par plusieurs personnes qui ont édifié des cabanes dans un contexte régional de crise du logement d’urgence (10.000 personnes à la rue en juin 2025 selon Bruss’Help). Face à la multiplication des aléas climatiques, le rafraîchissement et le tamponnement des inondations par le plan d’eau restent à l’étude.
Dans un contexte global d’effondrement de la biodiversité, particulièrement accentué pour les espèces d’eau douce, la constitution du Marais Wiels est un exemple de réparation d’un milieu de vie par la rencontre d’agents humains et non-humains. Le peuplement du plan d’eau par des algues characées et la croissance des roselières ont permis de constituer un refuge pour des espèces dont certaines sont rares ou même très rares à l’échelle de la Belgique : 95 espèces d’oiseaux, 22 espèces de libellules, 17 espèces d’hyménoptères et 8 espèces d’orthoptères ont été observées. Cette capacité des vivants à générer un milieu de vie complexe a été relayée par les personnes attachées au site (4).
Si les projets, privés et publics, semblent actuellement avoir rencontré leurs limites respectives, le Marais Wiels a entraîné une dynamique sociale et écologique qui a dépassé ses limites.
Constituées en collectif « les fé.e.s du Marais », elles ont procédé au nettoyage régulier du site, au fauchage de la roselière et à l’arrachage des plantes invasives. Au-delà de la défense administrative du Marais qui se traduit en participation aux réunions publiques, aux enquêtes et aux commissions de concertation, l’engagement local a pris la forme d’interventions matérielles qui ont modifié la perception sensible du milieu (5). La constitution d’une communauté multi-espèces est progressivement reconnue, notamment par la CRMS, qui a répondu favorablement à la demande de classement en identifiant « un intérêt scientifique majeur en tant qu’exemple particulièrement remarquable d’un écosystème propre aux zones humides et d’un milieu naturel d’une richesse écologique particulièrement élevée qui s’est rapidement développé au sein d’un milieu urbain (6) ».

© Kinet Geneviève
Les bancs réalisés en chantier participatif avec le collectif Les Chantiers Battus.
La construction d’assises pour cet espace au statut encore incertain est un exemple intéressant. En 2022, une première phase de co-construction des aménagements du site, nommée Parklab Wielemans, n’avait pas permis, par manque d’accord entre différentes institutions, de tester la moindre assise face à l’eau. Cette phase d’expérimentation biaisée a pourtant servi à définir le cahier des charges réalisé par Beliris pour l’aménagement du parc paysager. Par la suite, la coopération entre l’asbl Marais Wiels Moeras, des artistes ou architectes et la participation de citoyen.nes via des chantiers collectifs ont enfin permis, grâce au financement de la Cocof et à l'autorisation de Bruxelles Environnement, de réaliser des assises robustes en 2025.
Cette collaboration limitée indique un chemin possible pour se mettre à l'école du Marais : penser et réaliser des avenirs désirables avec des zones humides résurgentes en milieu urbain.
(1) Mathieu Van Criekingen, Contre la gentrification, éditions La Dispute, 2021, 192p.
(2) Léna Balaud, Antoine Chopot et Allan Wei, « La part sauvage des communs ? Une enquête écologique au Marais Wiels », in BOURSIER Philippe, GUIMONT Clémence (dir.), Écologies Le vivant et le social, La Découverte, 2023, p.597-606.
(3) Allan Wei, « Marais Wiels, Friche Josaphat, des sols bruxellois entre gouvernementalité écologique et communs multi-spécifiques», Espaces et sociétés, 194(1), p.23-41. URL : https://doi.org/10.3917/esp.194.0023.
(4) Chloé Deligne et Allan Wei, « Quels futurs au Marais ? Cybernétique et écosophie à l'épreuve des friches bruxelloises. »,
Rapport final et Policy Brief du projet TRITON (Innoviris Prospective Research Brussels), 2024, 22p.,
(5) Valeria Cirillo et Allan Wei, « Donner consistance aux résurgences urbaines », Revue française des méthodes visuelles [En ligne], 8 | 2025, mis en ligne le 03 septembre 2025, consulté le 01 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/rfmv/1429
(6) Avis de la CRMS, 30/10/2024, n° de référence FRT30023_732_PROT

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