Une cours d'école comme expérimentation de construction collective
- Auteur externe
- il y a 2 jours
- 6 min de lecture
Anne-Cécile Jacquot (paysagiste - conceptrice)
Entre 2021 et 2023, la cour d’une école du Ban Saint-Martin, commune de Moselle, a été totalement réaménagée pour devenir un espace adapté aux besoins des élèves, des enseignants et des services techniques, désimperméabilisée, permettant l’infiltration de l’eau de pluie et plantée généreusement. La Maîtrise d’œuvre a été conduite par Omnibus, paysagistes concepteurs accompagnés du bureau d’études ERA, ingénieurs conseils.

© Romain Gamba (1)
La cour de l’école Paul Verlaine prend place à l’arrière de la mairie du Ban Saint-Martin, commune limitrophe de Metz, qui s’étend entre la Moselle et les reliefs des Côtes de Moselle. Les démarches de désimperméabilisation de cour d’écoles étaient encore balbutiantes en 2021. De multiples circonstances ont permis la naissance ici d’un projet ambitieux et nouveau, faisant de cette cour un espace dans lequel les élèves évoluent aujourd’hui dans un climat apaisé. Cette démarche fut également un tournant majeur dans les habitudes de travail des agents municipaux et des élus : une expérience humaine épanouissante autour de la fabrique d’un espace public.
Il y a 5 ans, il fallait déployer beaucoup d’énergie pour convaincre qu’il n’est ni satisfaisant ni aisé d’être chaque jour dans une cour sans plante, sans arbre, donc sans ombre et parfois même sans banc. Notre société a progressivement fait émerger des espaces extérieurs autour des écoles, appelés « cour de récréation » qui semblaient surtout devoir répondre aux besoins des adultes : à savoir des espaces faciles à surveiller et à entretenir. Les cours se sont alors recouvertes d’enrobés, utilisés partout comme revêtement de routes, une surface économe, pratique pour courir, idéale à balayer et qui dure longtemps. C’était sans compter le travail lent mais efficace des racines des quelques arbres ayant ici été préservés qui ont déformé, soulevé, craquelé cette surface.
Les enfants ont donc passé ou passent encore une partie de leur journée dans un espace sans refuge, au paysage unique et pauvre. On l’observe sur les temps de récréation, souvent, c’est l’errance qui prend le dessus. Et le peu de possibles qu’offrent ces espaces monotones est devenu normal à nos yeux d’adultes. C’est ce que révèle la suggestion émise par une directrice d’école, lors d’un atelier ; elle proposait de ne pas installer des bancs dans la future cour, « ce n’est pas la peine, ils courent tout le temps ! » Elle a toutefois nuancé son propos ainsi : « Par contre, il nous faudrait un banc avec dossier pour les surveiller. »
...les espaces publics sont les lieux qui permettent d'expérimenter l'altérité, qui invitent à la rencontre, à la fabrique du lien social...
Je veux ici exprimer toute la conviction qui m’anime depuis plus de quinze ans en tant que paysagiste : les espaces publics sont les lieux qui permettent d’expérimenter l’altérité, qui invitent à la rencontre, à la fabrique du lien social ; ils sont les lieux pour apprendre à faire confiance, pour apprendre à dialoguer, pour se comprendre ou pour apprendre à être en désaccord. Se mobiliser pour que ces espaces publics quels qu’ils fussent, soient soignés, confortables tout en étant simples dans leurs aspects, me semble être une contribution discrète mais efficace à la construction d’une société plus aimable et plus épanouissante.
La fabrique d’un espace public dans lequel chaque citoyen se sente bien ne règlera pas tout mais cette expérience permet d’appréhender toute la difficulté de la construction et des réglages permanents à effectuer pour approcher les multiples bénéfices d’une chose publique réussie.
Avec toute une équipe de paysagistes, d’urbanistes et de programmistes, nous avons élaboré et livré en 2020, le Plan Paysages du SCoT (Schéma de cohérence territorial) de l’Agglomération messine, qui concerne 225 communes et 7 intercommunalités autrement dit un territoire très vaste. Ce plan de paysage a été initié en même temps que la révision du document de planification qu’est le SCoT pour introduire la notion de paysage au cœur de la stratégie de planification. Ces deux années de travail ont été l’opportunité de construire progressivement une acculturation à la démarche paysagère auprès des élus et des agents publics.
Le programme d’actions du plan paysage prend la forme d’une série de conseils pour adopter la juste posture par les élus et les aider à envisager chaque problématique, transformation, désir d’aménagement, sous l’angle de la démarche paysagère ; ou comment par exemple, profiter de l’enfouissement de réseaux pour repenser la qualité des espaces publics au regard des usages disparus ou en place ?

© Romain Gamba (2)
Parmi les actions du programme figurent les appels à manifestation d’intérêt à lancer par le Syndicat mixte du SCoTAM dont le premier fut intitulé « Cassons la croûte !». Plusieurs communes ont exprimé leur souhait de repenser leur cour d’école et nous avons accompagné les élus du Ban Saint-Martin dans la transformation de celle de l’école Paul Verlaine. Les 6 classes de l’école ont été rencontrées et 12 maquettes de cette cour rêvée ont été réalisées.
"Les équipes pédagogiques constatent moins de conflits aujourd’hui lors des temps de récréation. Les secrétaires de mairie dont les fenêtres donnent sur la cour disent aujourd’hui combien l’ambiance a changé, combien les sons des instruments de musique participent à l’apaisement général."
Lors des ateliers, nous avons pu parler désimperméabilisation, circuit de l’eau de pluie, besoins des enfants mais aussi des adultes et listé les rêves de chacun. Nous avons pu débattre de la place prise par les jeux de ballons dans la cour, de la place à trouver pour les jeux calmes et des conditions à inventer pour se sentir bien dans la cours pour les jours où l’on a beaucoup d’énergie et pour les jours où l’on cherche seulement un lieu refuge pour discuter, rêver ou penser.
Élus et agents communaux faisaient leur apparition au milieu de ces séances animées et joyeuses ; les besoins de chacun ont pu être entendus et traduits dans les propositions des groupes d’enfants. La cour se dessinait petit à petit et la satisfaction grandissait à mesure que les ajustements prenaient forme, que l’écoute opérait.

© Omnibus (3)
A nous ensuite de nous saisir de l’ensemble des données récoltées auprès des usagers pour les associer à l’ensemble des données topographiques, des contrainte techniques, de sécurité, d’accès et de budget. Se poursuit alors le travail de conception afin de relever le défi consistant à repositionner les usages souhaités, trouver les justes formes à l’ensemble de ces besoins, les traduire selon les ambiances évoquées, décrites, composer les espaces dans les bonnes proportions, structurer les lieux autour des espaces plantés et planter des variétés de la bonne hauteur, texture, floraison, selon les moyens de gestion en place. Pour que les espaces fonctionnent, les échanges doivent être nourris et fréquents, c’est tout l’intérêt des phases progressives de la maîtrise d’œuvre

© Omnibus (4)
L’aménagement de cette cour permet l’infiltration de la totalité des eaux de pluie de surface et des toitures. Presque 70% de la surface a été désimperméabilisée. L’eau de pluie est conduite des descentes d’eau de pluie accessibles, via des caniveaux à ciel ouvert vers les espaces filtrants de la cour : espaces de jeux en copeaux de bois et espaces plantés. L’accès au réseau collectif en point bas a été conservé afin de maintenir un rejet des volumes d’eau de pluie en surverse pour les volumes supérieurs à une pluie de vingt ans. Ce point bas prend aujourd’hui l’apparence d’un jardin en creux à la végétation foisonnante.
Les équipes pédagogiques constatent moins de conflits aujourd’hui lors des temps de récréation. Les secrétaires de mairie dont les fenêtres donnent sur la cour disent aujourd’hui combien l’ambiance a changé, combien les sons des instruments de musique participent à l’apaisement général ; les employés en charge de l’entretien intérieur des locaux sont rassurés, les sols ne sont pas plus salis qu’autrefois et les services techniques parviennent sans moyens supplémentaires à entretenir le site. Le directeur général des services rappelle régulièrement comment cette expérience a transformé sa manière de conduire ses équipes ; la prise d’initiatives et la co-construction sont désormais systématiquement encouragées.
S’accorder le temps de faire ensemble, d’observer, de faire ce pas de côté si précieux pour façonner une manière commune de voir l’évolution des lieux sont les ingrédients incontournables pour la fabrique d’espaces publics durables, appréciés, respectés, adaptés et convoités.


Commentaires