L’approche sensible au service du projet urbain
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Catherine De Zuttere, ERU-Urbanisme
Malgré leur apparente quiétude, les parcs peuvent devenir des lieux de tensions : usager·es, faune, flore partagent un même espace contraint. Concevoir leur futur et viser l’équilibre demandent des outils de connaissance précise des lieux. Retour d’expérience d’une étude socio-urbanistique menée par ERU (1) sur le futur Parc de Neerpede.

Le périmètre du futur parc de Neerpede rassemble 8 entités - ©ERU
En contrebas du Ring de Bruxelles, une succession d’espaces verts se déroule de part et d’autre de viaducs autoroutiers à Anderlecht ; au-delà des parcs et sentiers, s’y trouvent aussi de nombreux plans d’eau, un bassin de rétention, une butte en friche et des zones indéfinies sous les viaducs. Malgré les quelques 100.000 voitures qui les surplombent chaque jour, de nombreuses personnes fréquentent les lieu x. Ce parc en devenir forme la charnière entre les quartiers denses et les paysages bucoliques du Pays de Neerpede.
Un vaste territoire à multiples enjeux

Ce territoire est stratégique (2) pour la Région, il fait l’objet d’un projet porté par l’administration de l’Environnement. Son réaménagement progressif vise la création d’un espace vert cohérent : le projet doit revaloriser les qualités écologiques et la biodiversité tout en renforçant les capacités d’accueil du public. Par ailleurs, la volonté d’y créer le premier espace de baignade naturelle à Bruxelles inscrit ce projet au cœur des débats et l’a déjà mené sous le feu L’appropriation de l’espace sous les viaducs des projecteurs. par l’aménagement d’une piste de course de
voitures téléguidées attire petits et grands.
- ©ERU
Diversité d’usages et de réalités spatiales
Une année d’investigations, au fil des quatre saisons, des variations de météo et de jour comme de nuit, a relevé une grande diversité d’usages. Les caractéristiques propres aux différents espaces (ambiances lumineuses, sonores, cadre paysager, proximité des habitations ou des équipements, ...) conditionnent les habitudes : si la majorité des personnes se promène, exerce une activité sportive ou récréative, observe la nature, se ressource ou simplement traverse les parcs à pied ou à vélo, de nombreux usages plus en marge s’y retrouvent également (la pêche, le graff,les courses de voitures téléguidées sous les viaducs,..).

L’étang de la Pede offre un espace verdoyant où les pauses se font nombreuses - ©ERU
Quelle démarche pour démêler les multiples fils imbriqués ?
Un cumul d’approches et de procédés s’est avéré indispensable pour saisir la manière dont l’ensemble du territoire est vécu, perçu, occupé et traversé. L’équilibre a été recherché entre observation de terrain et récolte de la parole. En effet, les relevés d’experts sont nécessaires pour la compréhension des enjeux, mais ils comportent aussi des biais que peut lever une approche sensible attachée aux récits personnels.
Nous avons consulté une variété suffisamment représentative d’usager·es et d’acteur·ices locaux·ales, de manière individuelle afin d’éviter toute polarisation. Les tendances dominantes et divergentes ont été dégagées, ainsi que les tensions d’usages ou même symboliques.
L’observation de terrain
Afin de faciliter les temps d’observation, nous avons constitué trois logbooks (3) pour y classer méticuleusement les caractéristiques propres (aménagements, équipements et signalétique, accès), les usages (ludique, sportif, détente, …) et les parcours (mode, trajets, …).
Le format capitalise les informations de base, les différentes ambiances, les usages courants ou inhabituels : par exemple les agrès sportifs sont très peu utilisés par les joggeurs mais bien comme obstacle pour des sauts en BMX.
Pour permettre l’analyse de ces nombreuses données, l’ensemble a été retranscrit dans une grande matrice et sur des cartographies numériques.
L’approche sensible
Parce que nous sommes convaincu·es de l’importance des rencontres pour une prise de température du vécu, nous avons réalisé 45 micros-trottoirs. Ces échanges courts et spontanés apportent une palette de ressentis, habitudes et anecdotes. Ils cassent souvent de potentiels préjugés ; nous avons par exemple appris que les viaducs du ring n’étaient pas tant un obstacle, et qu’un étudiant qui y pratique du sport n’y entend même plus le bruit des voitures !
En complément, nous avons mené 38 entretiens semi-directifs pour toucher chaque acteur·ice local·e et service communal et régional concernés. Grâce à une même trame de base adaptée selon les interviewé·es, nous avons pu analyser les différents enjeux selon les secteurs (sport, horeca, jeunesse, environnement, entretien, etc.).

Localisation des acteurs consultés - ©ERU
Nous avons également ciblé trois groupes prioritaires pour approfondir l’analyse via des ateliers : les seniors et les femmes – parce que ce sont des publics vulnérables trop souvent écartés des politiques d’aménagement, et les cyclistes – parce qu’ils sont difficiles à intercepter et nombreux·euses à traverser le parc. L’enquête en ligne a été utilisée uniquement pour consulter plus largement le groupe des cyclistes.
L’outil de carte mentale, proposé en atelier, s’est avéré très riche : la technique de la page blanche, qui demande à être clairement présentée voire exemplarisée en introduction, a l’avantage de laisser le champ libre à l’expression. Ainsi, chacun·e a pu expliquer ses points de repère ou de désorientation, distances ou encore préférences dans les cheminements. Une dame du groupe des seniors s’est représentée sur son banc favori, pause à mi-parcours de sa promenade quotidienne.

Les femmes expriment leur ressenti globalement positif du Parc des étangs lors de la balade sensible - ©ERU
Le format de balade sensible, particulièrement adapté à un groupe en non-mixité choisie, nous a permis de consulter un groupe de femmes habituées à traverser les parcs pour se rendre à une activité de maraîchage. Nous avons créé un jeu de cartes de questions et de ressenti d’émotions, qui a permis non seulement de récolter leurs usages et impressions, mais également de contribuer à leur sensibilisation (les inégalités subies dans l’usage et l’appropriation de l’espace public n’étant pas toujours perçues ou conscientisées).
D’un espace morcelé à une mosaïque complémentaire et qualifiée
Nos recommandations sont à la croisée entre enjeux sociologiques, urbanistiques et environnementaux. La construction d’une vision collective nous paraît incontournable, permettant à tous·tes de s’approprier le parc, tout en portant une attention aux particularités de chaque espace.
À l’heure où les changements climatiques se font plus fortement ressentir et vu la situation du parc en fond de vallée, l’étude s’est aussi centrée sur la problématique des zones inondables.
Même si l’étude s’appuie sur une base quantitative solide et représentative, elle montre une fois de plus la valeur essentielle de l’approche sensible et qualitative. Les nombreux échanges, individuels ou collectifs, ont apporté des contributions précieuses. Les recommandations se sont construites en croisant ces points de vue, apportant la nuance nécessaire pour aborder des enjeux complexes.
1 - En collaboration avec l’agence française Modes de Villes, pour Bruxelles Environne-
ment, 02/2024 – 03/2025
2 - Périmètre inscrit comme « pôle récréatif régional » et « site semi-naturel à protéger et revaloriser »au PRDD, Plan Régional du Développement Durable
3 - Carnet de bord
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