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L’occupation temporaire, un moteur de développement pour le territoire

La réalisation de projets d’aménagements de grande envergure comprend généralement une longue phase de planification. De plus en plus d’acteurs publics gèrent ce temps long par une occupation temporaire de l’espace, surtout à Bruxelles et en Flandre. Elles s’inscrivent désormais dans un cadre juridique contractuel.





Le concept d’occupation temporaire concerne aussi bien les espaces ouverts vacants que les immeubles inoccupés, situés sur des parcelles publiques ou privées. Les espaces ouverts sont souvent des friches industrielles, militaires, ferroviaires ou des terrains situés en périphérie des centres urbains. Quel est l’intérêt des acteurs publics de se préoccuper de l’occupation temporaire de ces sites ? L’occupation temporaire constitue-t-elle un moteur de développement ?


L’appellation « occupation temporaire » recouvre des réalités multiples


Perspective.brussels, le bureau bruxellois de la planification, a comme rôle principal d’être un centre d’expertise régional et initiateur de la stratégie de développement du territoire de la région de Bruxelles-Capitale. Depuis plusieurs années, Perspective.brussels, en collaboration avec d’autres acteurs publics, développe le concept d’occupation temporaire sur des sites privés et publics.


Le bureau bruxellois de la planification distingue trois types d’occupation temporaire : l’occupation temporaire, la gestion transitoire et l’expérimentation programmatique.


L’occupation temporaire concerne des aménagements ou des activités qui n’ont pas vocation à influer sur le projet à venir. Une occupation temporaire peut durer quelques heures jusqu’à plusieurs années. Perspective. brussels a mis en place un guide de l’occupation temporaire qui s’adresse aux porteurs de projets en recherche d’un lieu ou aux propriétaires d’espaces qui souhaitent les mettre à disposition durant une période donnée. Par exemple, l’asbl Toestand en collaboration avec Bruxelles Environnement, occupe temporairement, depuis 2014, l'Allee du Kaai, à Bruxelles. Ce site comprend 9 000 m2 d’espaces intérieurs et extérieurs. Il regroupe une trentaine d'organisations et accueille environ 40 000 visiteurs par an. Les activités variées : festival théâtre, constructions éphémères, potagers, sérigraphie, tables de conversation, réparation de vélos, skate parc intérieur tables d'hôtes... L’asbl occupe d’autres sites délaissés au service des habitants et du secteur socio-culturel dans Bruxelles.



Journée construction, Allee du Kaai à Bruxelles © Bie Van Craeynest, Toestand 2020.



Sjoemelage, festival de théâtre, Allee du Kaai à Bruxelles© Lander Loeckx, Toestand 2015.


La gestion transitoire comprend également une limitation dans le temps, mais avec la notion de passage d’un état à un autre. Par exemple, en attendant la reconversion des casernes Fritz Toussaint, à Ixelles, la Société d’Aménagement Urbain (SAU), mandatée par la Région bruxelloise, a désigné un prestataire pour assurer la gestion transitoire du site. Le projet est baptisé « See U ». Depuis 2019 et jusqu’en mars 2022, y sont présents plus de 100 porteurs de projets issus du monde associatif, économique, culturel, universitaire ou encore éducatif. Pour organiser le site, sept thématiques sont définies : Playground, Food, Lab, Gallery, Sustainable, Community et Family. Depuis son ouverture, il y a eu plus de 350 activités, accueillant 125 000 visiteurs.


L’expérimentation programmatique concerne l’usage temporaire d’un lieu en réhabilitation. Elle alimente la programmation du projet à venir pour un territoire donné. Par exemple, sur le site de la gare de l’Ouest, situé sur la Commune de Molenbeek, Perspectives. brussels, avec la Société d’Aménagement Urbains (SAU) et la Commune, planchent sur la programmation future des terrains aux propriétaires multiples. Ainsi, sur une partie du site et en attendant son affectation définitive, la programmation de différentes fonctions y est testée pour une période de trois ans. Le projet est baptisé « MolenWest ». Il comprend le déblaiement du terrain et l’installation de six containers maritimes, venant du port d’Anvers. Ils sont reliés par des espaces protégés extérieurs et aménagés pour y abriter diverses activités menées par sept associations : un fablab, des activités sportives ou créatives, une école des devoirs, un potager collectif... Cette expérimentation pourrait être intégrée dans la programmation future du site avec la création d’un centre de quartier pour accueillir durablement les activités associatives. Dans la littérature et sur le terrain, la limite entre les trois concepts reste souvent floue parce que dans la réalité, les différents types d’occupations peuvent avoir lieu sur un même site.


L’occupation temporaire pourrait trouver son origine dans les ‘squats’. On peut distinguer, d’une part, les squatteurs qui occupaient un bien sans titre et qui cherchaient à se procurer un logement qu’ils n’arrivaient pas à obtenir par voies légales (Merlin, Choay, 2005). Et d’autre part, les squatteurs à forte coloration artistique qui étaient et sont toujours en recherche de grands espaces désaffectés (hangars, usines, friches…) en vue d’organiser leur activité (Awada, 2018).


Cependant, l’occupation temporaire se distingue du « squat » dont l’occupation s’organise autour d’un mouvement de résistance de citoyens, surtout en France. La stratégie organisée par ces citoyens consiste à occuper des sites illégalement et à proposer des alternatives et nouvelles pratiques collectives concrètes. Ce type d’occupation se fait en contestation face à de grands projets immobiliers liés le plus souvent aux loisirs, au commerce de masse et aux infrastructures de mobilité. En Belgique des ‘zadistes’ ont occupé l’ancienne sablière de Schoppach à Arlon pour s’opposer à un projet de zoning industriel et surtout pour lutter contre l’artificialisation de la sablière répertoriée, par la région wallonne, comme site de grand intérêt biologique.



Occupation de l’ancienne sablière de Schoppach à Arlon© Zad d’Arlon.


Dans le cas de l’occupation temporaire, organisée à partir des pouvoirs publics, les occupants acceptent le caractère momentané du lieu. On pourrait dire en quelque sorte que l’occupation temporaire serait devenue la version ‘légale’ et non-contestataire des squatteurs. Les principales occupations temporaires que l’on a pu observer, sur des espaces ouverts, sont des ateliers d’artistes, des concerts, des ateliers créatifs ou de réparation, du commerce local, des tables d’hôtes, des buvettes, des jardins potagers, des terrains de jeux et de sport et enfin des espaces d’animation pour le projet du site en devenir.


Quel est l’intérêt des pouvoirs publics de développer une occupation temporaire ?


À travers les exemples cités ci-dessus, on peut observer plusieurs avantages à ces types de développements provisoires. D’une part, l’occupation temporaire permet d’activer les lieux avant leur réaménagement. Elle permet de mettre des espaces temporairement inoccupés à la disposition d’initiatives citoyennes, associatives, culturelles… ; et ainsi d’entamer l’ouverture progressive du site au quartier.


D’autre part, elle ouvre des possibles pour des projets incertains et inventifs qui pourraient s’intégrer dans le projet final. L’expérimentation programmatique et la gestion transitoire permettent, lorsque le développement du site n’est pas encore clairement défini, de tester des usages, d’essayer des nouveaux modèles d’équipements et ainsi de vérifier s’ils correspondent aux besoins des citoyens.


Et enfin, l’occupation temporaire a également l’intérêt, pour les pouvoirs publics, d’éviter les problèmes liés aux sites délaissés. Les terrains en friche et les bâtiments inoccupés, lorsqu’ils restent vacants, deviennent rapidement des dépotoirs et des lieux anxiogènes.


Par ailleurs, le constat d’un usage culturel et artistique prédominant dans les occupations temporaires pose question pour ceux qui voient ce processus comme un vecteur de gentrification et de valorisation du foncier (Duvauroux, 2017 ; Faburel, 2020). Richard Florida a mis en avant le lien fort entre « classe créative » (catégories sociales supérieures et intellectuels), attractivité et développement économique (Awada, 2018). Mais pour beaucoup d’autres, l’occupation temporaire est un bon outil d’aménagement du territoire pour tester de nouvelles façons de construire des lieux, avec les habitants. Sans prétendre à un angélique vivre-ensemble, l’occupation temporaire promeut à minima une co-présence productive et à une cohésion sociale (Mercier, 2016 ; Godefroid, 2016). Même avec les ‘zadistes’ les initiatives de l'alternative sont aussi des expérimentations inscrites dans une logique d'occupation de lieux, d’une solidarité et d’une parole collective.


La régularisation des occupations temporaires permet désormais de les identifier comme un outil dans l’aménagement des territoires où le foncier vacant est mis à profit. Elles se glissent ainsi dans les interstices temporels et spatiaux des opérations et des stratégies d’aménagement de projets sur le long terme. L’enjeu majeur sera de conserver dans le temps la valeur sociale ainsi créée par le projet.



Kim De rijck, Maison de l’Urbanité



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